Tiers Lieu Nomade part en itinérance. Christine Balaï, responsable du pôle Territoire, a entamé un voyage à la rencontre des territoires et de la transition environnementale, économique, sociale… Un voyage qui s’inscrit dans une démarche de recherche-action.
Après Handi Femme Epanouie, projet sur lequel l’équipe de Tiers Lieu Nomade a planché au printemps dernier, et qui vole aujourd’hui de ses propres ailes dans le cadre d’une association spécifique, Tiers Lieu Nomade semblait dormir, chacun oeuvrant dans son champ d’intérêt propre.
Pourtant c’est une nouvelle étape pour Tiers Lieu Nomade qui a démarré cet été. Le « pôle Territoire » a pris le large avec un voyage en itinérance à la rencontre des territoires.
Concrètement, j’ai laissé mon appartement parisien et j’ai pris mon sac à dos et mon bâton de pèlerin pour un périple en France, puis plus tard aussi à l’étranger, 15 jours par mois en moyenne, à la rencontre d’initiatives, d’espaces, de lieux alternatifs, tiers-lieux, tiers-espaces, collectifs et communautés, villes et territoires ruraux en transition, forums de réflexions… pour saisir sur le terrain la transition écologique, économique, sociale, culturelle…. en cours.
« Ecoutez le monde changer » scande la nouvelle campagne de publicité d’Europe 1… . Dans le contexte de l’urgence climatique et sociale, chacun est invité, selon le message du Colibris, à faire sa part pour contribuer à un développement plus « soutenable » de la planète et « bâtir des modèles de vie en commun, respectueux de la nature et de l’être humain ».
C’est pour faire ma part que j’ai décidé de voyager, en croisant et rendant visible les expériences, pour contribuer, depuis une posture d’acteur-chercheur, voyageuse exploratrice à la croisée des chemins, à l’avènement d’une nouvelle conscience et d’un futur plus radieux, d’une transition qui s’adresse à tous, y compris les plus démunis…
Quatrième fois que j’emprunte le bus pour aller ou revenir de Toulouse ! Le bus est généralement le moyen de transport le moins cher – quoi que ! – passé de 10 euros en période creuse à 114 euros pendant la grève des transports (ce jour-là j’ai divisé les étapes de mon voyage et j’ai opté pour le covoiturage) et un retour pour 15 euros par le train avec un billet pris au dernier moment sur OUIGO.
A la gare routière de Bercy, j’observe qui sont les passagers qui s’apprêtent à monter dans les bus ? Voyageurs pauvres, couches moyennes à la recherche d’économie, travailleurs migrants, étudiants, voyageurs en itinérance qui se reconnaissent à leurs vêtements et leur sac à dos… La curiosité s’éveille, tout s’observe, des indices d’une réalité qu’il est difficile de décrypter, le bus serait à lui seul un terrain d’observation. J’observe aussi l’activité des rives de la Seine au sortir de Berçy : entrepôts et équipements industriels que je n’avais pas remarqués jusque là. Le voyage devient poétique, façon d’appréhender la réalité d’un monde qui se dérobe et d’en apprécier la richesse.
Si le voyage ouvre un immense espace de liberté, partir en itinérance avec les objectifs qui sont les miens pose diverses questions méthodologiques voire épistémologiques souvent très pragmatiques. Où aller, quels territoires, lieux, initiatives choisir et comment ne pas se perdre dans le foisonnement des initiatives ? Comment organiser le voyage : calendrier, lieux d’hébergement, mode de transport, adaptation au temps et à la variation du climat, dispositifs de mise à l’abri, avec quel bagage pour garder sa liberté de mouvement…? Quelle économie du voyage et quelle économie des projets dans lesquels s’inscrire ? Comment relater ces expériences ? Quelle méthode de transcription et quelle méthode d’analyse ? Etc. Ainsi se dégage un mode très opérationnel de l’aléatoire et de l’errance constructive.
Fixé au fur et à mesure des rencontres, des opportunités, des propositions, des programmes d’événements et colloques sur toute la France… l’itinéraire se construit pas à pas :
Un périple dans le Volvêtre en Haute-Garonne et dans l’Ariège en octobre avec un projet sur l’eau et les arbres.
La rencontre dans le Gard de « Terre de Convergence » en août avec retour pour un bilan à la recyclerie du Vigan en novembre et l’hébergement dans un écolieu dans le Sud des Cévennes.
Plusieurs rencontres en novembre : l’université populaire d’Intermèdes Robinson dans l’Essonne, le Forum international de l’ESS à Niort, les 10 ans du GIS Démocratie à la Maison des Sciences de l’Homme de Saint-Denis, le FRESS à Toulouse, une rencontre structurante avec le LISRA à la MSH et dans la péniche de la Paix à Juvisy. L’esprit du voyage est contagieux. Paris et la Région parisienne sont perçus eux-même comme des lieux d’itinéraire et des étapes sur le chemin : ainsi outre les colloques, s’observent un projet bain douche dans le 10e, des squats accueillant des personnes sans abris ou des Roms. Un itinéraire est d’ores et déjà prévu en Bretagne en décembre : Lorient, Morlaix, Rennes… autour des Tiers Lieux et politiques pour la jeunesse, d’autres projets se dessinent… Le reste du temps je le passe en Normandie, dans la maison familiale, où s’élabore lentement également un projet : gite, projet artistique, botanique, transition…
Selon, Henri Desroche, auteur référent en terme de recherche-action, qui a inventé l’approche de la biographie raisonnée, la recherche-action commence par soi-même, par un retour réflexif sur son parcours de vie, ses aspirations, ses projets qui motivent l’action. Les personnes vivent avant tout une aventure transformatrice. Je n’ai pas attendu ce voyage pour dessiner le parcours, celui-ci s’inscrit dans le fil de mon histoire. Valeurs d’éducation populaire et amour du voyage acquis dans ma jeunesse, la trace à travers le dessin, les cartes (La carte, à la fois, fait et n’est pas le territoire ), l’écriture journalistique et pour la recherche, le numérique citoyen et la démarche collaborative, les projets d’économie sociale et solidaire et la création et l’animation d’associations, les tiers lieux et tiers espaces, le cheminement et la quête intérieure autant qu’extérieure… Autant de savoirs-faire et savoir-être qui m’ont amener à penser et agir en terme d’évolution des consciences, de transition pour répondre aux urgences du temps, à la menace écologique et à la pauvreté, et aux nouvelles aspirations qui émergent…
Sur le terrain, c’est un monde foisonnant que je découvre, vibrant d’espoir, de créativité et d’énergies mobilisatrices, de personnes qui se transforment, de projets qui naissent, se développent et se mettent en lien partout. L’ancien monde existe toujours mais le nouveau monde est déjà là…
Le Laboratoire de recherche-action, LISRA réseau national de recherche action, confère une appartenance et une méthodologie d’approche, comme les différents réseaux, collectifs, que je découvre et dans lesquels je m’inscris au fur et à mesure, simple prise de connaissance ou liens plus étroits autour d’une communauté d’appartenance ou une réflexion commune.
L’agenda, les photographies sur le téléphone, les notes prises sur un carnet, les informations collectées au fur et à mesure des discussions, via internet, ou par tout moyen de collecte (flyers, affiches, documents, signalétique…)… retracent et accompagnent le parcours. Le voyage, les rencontres, les colloques… alimentent et nourrissent la réflexion. Une fois dépassée l’angoisse de la page blanche, l’écriture précède et accompagne l’analyse. La réflexion se tisse peu à peu.
*Auteur de cet article, Christine Balaï est docteur en science administrative, longtemps journaliste dans le domaine de l’éco-système du numérique, cheffe de projet et fondatrice d’associations dans le domaine de l’ESS, cofondatrice notamment de l’association Tiers Lieu Nomade. Artiste. En observation et réflexion sur les tiers-lieux et tiers-espaces depuis une quinzaine d’années. Engagée dans une démarche de recherche-action dans le cadre du Laboratoire de Recherche-Action, LISRA. Actuellement en itinérance une partie du temps sur les territoires, à la rencontre d’initiatives, de porteurs de projets, de lieux, et créatrice d’une entreprise dans le domaine de la transition solidaire.